Généralités sur les techniques de fabrication à Keraluc
L’effectif de la jeune faïencerie représentait une dizaine de personnes fin 1948. Il se développa au fur et à mesure de l’augmentation des commandes, assurées dans un premier temps par une production quelque peu commerciale, le décor « Tête de Breton ». Mais c’est surtout, par la suite, la fabrication d’articles céramiques pour la table en faïence unis qui provoqua un afflux de commandes tel, que l’effectif fut porté à plus de cinquante personnes et que des travaux d’agrandissement des ateliers furent entrepris. Cette production économique, appelée « manganèse et couleurs » vint d’une idée de Marie-Thérèse, la fille de Victor Lucas, qui proposa à son père de décliner sur toutes les formes utilitaires pour la table, toute la gamme d’émaux colorés qu’il avait élaboré en vingt années de carrière (chez Henriot puis chez HB). Les pièces étaient émaillées intérieurement en couleurs et extérieurement en brun noir brillant.
Dès la première année, plusieurs décors originaux conçus par les artistes collaborateurs sont également édités avec beaucoup de succès, notamment le décor « Coq » de Pierre Toulhoat et le décor « oiseau en chupenn » de Jos Le Corre.
Les premières pièces céramiques sont en faïence calcaire façonnées avec une pâte soigneusement composée afin d’obtenir un produit solide et résistant au tressaillage. La composition adoptée utilisait dans une large mesure (40 %) l’argile de Toulven (près de Quimper) mais, pour abaisser sa température de cuisson, il était nécessaire d’ajouter une argile ferrugineuse de Charente-Maritime, plus fusible. Les pièces de grandes dimensions étaient estampées ou modelées à la main. Les autres étaient fabriquées par calibrage pour les formes circulaires ou par coulage pour les autres pièces. La première cuisson, à 1000°C environ, donnait au tesson une tonalité chaude, ocre jaune clair, servant de couleur de fond pour tous les premiers décors sous vernis transparent plombo-boracique obtenus en deuxième cuisson vers 900°C. Les artistes, préférant travailler sur un support plus clair, badigeonnaient leurs pièces avec un colorant blanc opaque, le D44 de Couleurs Paris ; cependant la gamme s’enrichit très vite avec un émail stannifère blanc opaque et de nombreux émaux de couleur semi-opaques et opaques.
Selon l’usage des faïenceries de Quimper, la décoration était toujours exécutée exclusivement à la main avec des pinceaux en poils de martre Kolinsky. La technique sous vernis fut progressivement abandonnée au profit de la pose sur émail cru blanc ou coloré, comme le décor coq de Pierre Toulhoat peint en colorant blanc sur fond bleu ou rouge. Une nouvelle glaçure, opaque blanche et satinée par un ajout important d’oxyde de zinc donnant une très fine cristallisation, fut très largement utilisée par les artistes et pour la production courante, pendant les années cinquante et au début des années soixante. Ses qualités de surface mettent en valeur le travail du décor et la forme de la pièce. En outre, l’aspect particulier de cet émail fut une bonne transition entre la faïence traditionnelle très brillante et la matière plus brute du grès qui, fabriqué à partir de 1958, supplanta complètement la faïence après 1962.
Ce grès était fabriqué avec la seule argile de Toulven utilisée pure pour le tournage, le calibrage et le pressage ; l’opération de coulage nécessitait un dégraissage de l’argile avec une pâte à porcelaine de Limoges. Avant la production massive de l’émail de grès uni Vogue qui fut proposé à la clientèle au milieu des années soixante, plusieurs glaçures ont été successivement utilisées. Les ressources minérales locales furent exploitées au maximum pour ces émaux élaborés par Pol Lucas ; ce choix a été systématique comme pour légitimer le produit breton véritable, issu de matières premières de la région. Ainsi les feldspaths de Fouesnant, d’Ergué-Gabéric ou de Tréguennec ainsi que la silice de Tréogat rentraient dans la composition des émaux. La technique du grès rendant possible la fusion des minéraux à hautes températures, la production était personnalisée avec ces éléments plus « sauvages » que les produits affinés du commerce, mais, en contrepartie, le manque d’homogénéité et les coûts de préparation de ces matériaux bruts pénalisèrent souvent la fabrication.
L’arrivée du gaz propane à Keraluc en 1965, entraîna la mise au point de nouveaux fours de cuisson qui furent sans cesse transformés pour s’adapter au volume croissant de la production, pour cuire la nouvelle gamme en grès émaillé au sel et ensuite pour obtenir les atmosphères réductrices indispensables aux derniers émaux développés dans l’atelier. En 1975, le parc d’unités de cuisson était de dix fours à gaz d’une capacité totale de treize mètres cube avec cinq fours électriques de deux mètres cube chacun. La cuisson électrique fut abandonnée en 1980, au profit du gaz propane avec la construction d’un four à sole mobile de deux mètres cube équipé de brûleurs jets. Cette nouvelle installation très performante permit un contrôle précis de l’atmosphère de cuisson, indispensable pour les différents émaux en service.