❝L’histoire de la faïencerie KERALUC
à Quimper, 1946-1984

Quimper, un centre faïencier ancestral

Quimper connais une pratique céramique dès ses origines, cependant, à compter des années 1710, elle commence véritablement à prospérer avec les premières fabrications de luxe en faïence stannifère. C’est à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que cette production va assurer le renom de la ville et contribuer désormais à son image. Trois faïenceries : de La Hubaudière, Porquier et Tanqueray, d’importance inégale, animaient alors le quartier de Loc-Maria.
Au XXe siècle, l’effervescence créative des faïenciers quimpérois est décuplée lors des grandes expositions de 1925, 1931 et 1937.
À la libération, Keraluc, la nouvelle manufacture de Victor Lucas, prend la relève en ouvrant ses portes à de jeunes artistes qui renouvellent et diversifient la production.

L’origine de la plus ancienne des manufacture remonte en1708, avec l’installation de l’atelier de Pierre Bousquet dans l’enclos du Styvel, dès lors, bon an mal an, la production de faïence stannifère se maintient sans interruption. Cette fabrication de luxe, très élaborée et décorée, est très vite produite en quantité et en qualité, malgré la nécessité de l’apport de matériaux dont les lieux sont dépourvus. Une heureuse diversification s’opère à partir de 1780, avec la mise en œuvre du grès émaillé au sel assurant la pérennité de l’activité. La vocation céramique de Loc-Maria, le faubourg faïencier de Quimper, est désormais bien établis, elle s’affirme avec le développement de trois fabriques d’importances inégales tout au long du XIXe siècle.

La première manufacture

En 1707, Pierre Bousquet rejoint son père, Jean-Baptiste, originaire de Sainte-Zacharie en Provence et installé à Loc-Maria depuis quelques années pour y fabriquer des pipes en terre. Pierre fait rapidement prospérer l’entreprise, après le décès de son père survenu peu après son arrivé. Tirant profit d’une situation de monopole, l’affaire se révèle très prospère et il investit judicieusement ses gains dans l’immobilier afin d’assuer l’avenir de la manufacture. En 1749, il marie sa petite-fille, Marie-Jeanne Bellevaux à Pierre-Clément Caussy, un peintre faïencier venu de Rouen. Ce dernier assure peu après la succession de la manufacture, avec une grande compétence et une forte personnalité, au décès de Pierre Bousquet survenu à l’âge de 75 ans.
En 1771, sa fille épouse à 27 ans Antoine de la Hubaudière, un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées originaire de la région de Fougères. Il seconde son beau-père avant de lui succéder à sa mort en 1782. Parallèlement à son métier de faïencier, il s’engage dans la politique : républicain, il multiplie ses activités pendant la révolution avant d’être massacré par des Chouans à Fougères en 1794. Sa veuve Marie-Elisabeth Caussy poursuit la production, agrandit les locaux et développe une affaire de négoce maritime. En 1808, elle partage entre ses neuf enfants les bien de la famille. Les deux ainés héritent des activités de négoce et la manufacture revient aux cinq autres fils qui s’associent sous le nom de la Hubaudière juniors. Après le décès de leur mère en 1831, peu à peu des mésententes entre les branches financières et faïencières de la famille entraînent de nombreuses difficultés. Vers 1861, Félix de la Hubaudière nomme directeur, Théophile Fougeray, qui lance une production de copies d’anciens en exhumant des archives de la manufacture les vieux poncifs du XVIIIe siècle exploités par les Caussy à Rouen et à Quimper. La veuve de Félix, Alix Léonie Malherbe de la Bouëxière, rachète la fabrique en 1882 et renvoie le directeur pour en assurer elle-même la gestion. Devenue, six ans après, la comtesse Lecourt de Béru par son second mariage, elle continue à administrer la manufacture tout en la transforment de fond en comble ; une réorganisation qui entraîne malheureusement la destruction de très importants vestiges de l’époque de Caussy.
À sa mort, son fils Guy, est astreint à une succession rendu difficile par les investissements très importants de sa mère. Il doit sous traiter avec Jules Verlingue, propriétaire de la Faïencerie de la Madeleine à Boulogne-sur-Mer, avant de vendre lui vendre sa manufacture en 1914. Mobilisé, le dernier faïencier descendant de la famille de Pierre Bousquet est tué au front en août 1916

Éloury-porquier

François Éloury, ancien tourneur de la manufacture Bousquet-Caussy, installe un an avant sa mort en 1778, un petit atelier de fabrique de pipe en terre et de poteries usuelles à Loc-Maria. Sa femme et son fils Guillaume poursuivent et développent l’entreprise. Plus tard le petit-fils, bénéficiaire d’un mariage avantageux, achète en 1787 à sa fratrie la manufacture familiale et obtient l’autorisation de produire de la faïence. La seconde manufacture se développe alors et compte près de 30 employés au début des années 1800. C’est le fils ainé Nicolas qui prend ensuite la relève avant de s’associer à son neveu Guillaume Porquier. Ce dernier meurt en 1853 et sa veuve cède l’atelier à Clet-Adolphe Porquier qui décède six ans plus tard, laissant à sa femme, Augustine Caroff huit enfants mineurs, une fabrique de faïence et de poterie et une de grès. Elle réussit à faire perdurer la manufacture jusqu’à l’aube du XXe siècle, tout en lui donnant une grande renommée en s’associant en 1875 pour quinze ans avec Alfred Beau, un photographe, peintre et illustrateur originaire de Morlaix. Parallèlement, Arthur Porquier seconde sa mère et développe l’entreprise avec une production de céramiques utilitaires de poteries, de faïences communes et de grès.
Alfred Beau apporte à Quimper un nouveau-savoir faire dans la technique du décor de faïence qui bouleverse le genre classique jusque-là en vigueur sur la faïence quimpéroise. Il a pour fonction la création de modèles et veille à leur mise en application dans un atelier de décoration particulier, assurant ainsi pour la première fois une véritable direction artistique. Des prouesses techniques et artistiques sont réalisées : « plats tableaux » de très grandes tailles, instruments de musique en faïence décorée et surtout le thème de scènes typiques de la vie courante bretonne sont abordé pour la première fois. Ce genre, inspiré des lithographies de la Galerie Armoricaine de François-Hippolyte Lalaisse et des légendes bretonnes ont un succès considérable comme souvenirs de vacances ou de voyage auprès des premiers touristes aisés transportés par les Chemins de Fer de L’Ouest. Une première grande exposition est organisée à Quimper en 1876 à l’initiative de René-François Le Men, premier conservateur du Musée Départemental Breton, sa réussite encouragea les deux manufactures à participer à l’Exposition Universelle à Paris en 1878. La production originale et audacieuse signée Porquier-Beau y reçoit les honneurs de la critique. À la suite de ce succès, Alfred Beau devient membre de la sous-commission du Musée des Beaux-Arts de Quimper, il est ensuite nommé Directeur du Musée deux ans plus tard.
L’accueil est plus mitigé pour les copies de faïences anciennes de Rouen réalisées par la Fabrique de La Hubaudière depuis la redécouverte dans leurs archives de la collection de poncifs de Pierre-Clément Caussy. Cette production de plus en plus critiquée passe de mode et M. Fougeray dut réagir en adoptant aussi des décors bretons pour satisfaire la clientèle. Ces deux faïenceries jouèrent un rôle très important pour la notoriété de la faïence de Quimper dans le dernier quart du XIXe siècle en relançant la faïence artistique et en participant à de grandes expositions. L’engouement pour cette faïence populaire était si considérable que d’autres centres faïenciers, comme Malicorne et Desvres, reprirent sans scrupule ces décors. Le développement du transport de marchandises par chemin de fer permit aussi à la concurrence, Choisy-le-Roi et Sarreguemines, de diffuser leur production en Bretagne. À la fin du XIXe siècle les deux fabriques de plus en plus plagiées connurent des difficultés croissantes. La Manufacture Porquier commença à décliner après le départ d’Alfred Beau en 1894, et cessa toute fabrication dix ans après, Augustine Caroff décéda en 1908.

Dumaine-Tanquerey-Henriot

La troisième manufacture débute en 1791 avec l’installation de Guillaume Dumaine dans l’enclos du Poulras au pied du Mont Frugy. Issu d’une confrérie de potiers de grès normands, il quitte l’atelier familial de Gers repris par son frère ainé. Son modeste atelier n’est équipé que d’un seul four pour une production de grès, condition obligatoire pour son implantation à Quimper. En 1821, sa fille épouse Jean-Baptiste Tanquery qui plus tard, rachète l’affaire en faillite et la développe jusqu’à sa mort en 1858. Son fils, Théodore, poursuit l’activité en la faisant fructifier avec ses frères et sœurs. Marie-Augustine Tanquerey épouse un militaire en 1864, Pierre Jules Henriot, dont elle a trois enfants : Jules, Pauline et Antoinette.
En 1884, Jules Henriot n’a que 18 ans à la mort de son père ; bachelier, deux ans plus tard, il apprend le métier avec son oncle Théodore et sa mère. Cinq ans plus tard, à la mort de son oncle, il devient propriétaire de la manufacture en rachetant les parts de ses deux sœurs. Cet homme entreprenant adapte ensuite l’entreprise pour y développer une nouvelle production de faïence stannifère. Avec l’aide de Camille Moreau, un ancien apprenti d’Alfred Beau, des décors populaires signés HR assurent la prospérité de l’entreprise et ainsi, la continuité de cette pratique à Quimper, jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. En 1904, à sa requête, il obtient du tribunal de commerce de Quimper la protection de la mention Quimper accolée à la marque de fabrique et embauche progressivement le personnel des deux fabriques en commençant par celui de Porquier ; bienfait social mais aussi apport certain de savoir-faire pour l’entreprise. En 1913, il rachete la marque Porquier ainsi que les modèles, les moules et le stock de biscuits, mais Arthur Porquier refuse de lui céder les bâtiments de l’ancienne manufacture. Il se porte également acquéreur, sans succès, de la « Grande Maison HB ».

La modernisation d’une activité prospère

Au lendemain de la guerre, durant les années vingt, le contexte économique et social est difficile. De nombreuses grèves éclatent alors et en 1925 à la suite d’une manifestation particulièrement dure un incendie ravage une partie des locaux de la faïencerie Henriot. Cependant à cette période mouvementée correspond aussi le véritable démarrage de l’essor touristique. Quimper saisit cette opportunité et se dote dès 1920 d’un syndicat d’initiative. Ses atouts sont nombreux ; patrimoine architectural pittoresque malgré les nouvelles percées qui n’ont pas toujours respecté les quartiers anciens (quelquefois qualifiés de décor d’opérette à l’époque par la municipalité en place) ; grande « Fête des Reines de Cornouaille » lancée en 1923 par Louis Le Bourhis ; descente de l’Odet « plus belle rivière de France » avec les vedettes, Roi Gradlon, Terfel et Reine de l’Odet de l’Agence des Transports Maritimes de Cornouaille créée en 1921 ; excursions possibles avec les autocars Trémoureux « les Transports Automobiles Breton » Quimper-Bénodet en cinquante-cinq minutes deux fois par jour. Ce mouvement touristique augmente considérablement après 1936 grâce à l’institution des congés payés.
Deux faïenceries concurrentes se disputent un marché de plus en plus florissant dans ce contexte de développement touristique. En effet en 1918, la guerre finie, la vente de la manufacture HB à la Société Jules Verlingue et Cie devient effective et le nouveau faïencier venu de Boulognes-sur-Mer, Jules Verlingue, relançe la fabrication. C’est le début d’une véritable petite guerre économique que l’on va appeler la « Guerre des Jules ». Les faïenciers se livrent une lutte incessante en se copiant mutuellement et en débauchant les ouvriers du concurrent sous promesses d’augmentation de salaire. Ce va-et-vient des ouvriers « peinteurs » qui utilisaient leurs poncifs personnels facilitait les plagiats et régulièrement des procès font l’actualité. Bataille de marques aussi car la signature ancienne HB déposée dès 1882 a inspiré le concurrent qui, depuis environ 1894, signait ses pièces avec les deux lettres accolées HR, H pour Henriot et R pour Riou (nom de jeune fille de l’épouse de Jules Henriot). La lettre R fut peinte pendant quelque temps avec l’extrémité du jambage droit rentrée vers l’intérieur de manière à entraîner une certaine confusion. Mais très vite cette signature est remplacée par l’inscription HENRIOT qui devient une marque mondialement connue. Cette notoriété bien établie lui inspirant confiance, le jeune ingénieur céramiste Victor Lucas propose ses services à la faïencerie quimpéroise en août 1922. Sa demande arrive à point nommé car à la Manufacture d’Art Breton, Jules Henriot souhaitait, à l’instar de sa concurrente, la Société Jules Verlingue, Bolloré et Cie (HB), s’adjoindre les services d’un technicien afin de moderniser et de rationaliser la fabrication.

Photo aérienne de Loc-Maria vers 1950
La faïencerie Keraluc n’est pas visible sur cette photo, elle se trouve en hors champ en haut à droite de la photo.

De terre et de feu : les faïences de Quimper, un film daté du 3 septembre 1976 des archives de l’ina.fr qui retrace l’histoire de l’activité céramique à Quimper.


La faïencerie de Quimper : d’autres images d’archive datées du 2 mars 1967 des archives de l’ina.fr


Film sur Quimper : le contexte historique de Quimper, images d’archive datées 31 mai 1969 (ina.fr)


50 ans de Keraluc au Musée breton : un souffle de liberté... Article de Renaud Clech pour le Télégramme sur l’exposition « Keraluc : cinquante ans de céramique artistique à Quimper » programmée du 15 juin au 5 octobre 1997 au Musée départemental breton à Quimper.


L’ARTRAMIQUE À QUIMPER
L’ARTRAMIQUE À QUIMPER, publié initialement par les Éditions Ouest-France, est disponible en PDF.