❝L’histoire de la faïencerie KERALUC
à Quimper, 1946-1984

Les GRÈS D’ARMOR

23 novembre 2025
La briqueterie Joncour dans les années 1960
Vue aérienne de la briqueterie Joncour à Menez-Bily,
au fond les carrières d’argile et l’anse de Toulven.

Dans les années 1960, l’ancienne briqueterie Joncour située 449 route de Bénodet amorce sa reconversion sous les conseils de Paul Lucas avec une production de dalles de grès au sel. L’argile à grès de Toulven, qui était utilisée pour la production de briques creuses en terre cuite destinées au bâtiment, est désormais valorisée avec la fabrication de dalles en grès pour le sol.
Victor Lucas, en tant qu’ingénieur céramiste conseil, avait déjà collaboré avec la briqueterie pour l’installation du très grand four continu Hoffmann. La briqueterie avait ainsi contribué à la reconstruction de Brest avec ses briques particulières de teinte jaunâtre et non rouge, l’argile de Toulven utilisée n’étant pas chargée en oxyde fer (il reste encore des traces de ce four gigantesque dans les ruines de la briqueterie).

Jos Le Corre, carreau
Prototype de carreau en grès émaillé,
grès d’Armor et manufacture Keraluc
24cm, fin des années 1960.

Le développement de Keraluc avec le succès de ses fabrications en grès émaillé et décoré et par la suite sa production d’article en grès au sel incite M. Joncour à envisager ce passage au grès émaillé au sel. La technique était bien rodée à Keraluc. L’installation de nouveaux fours cellules susceptibles d’atteindre la température de 1 280° nécessaires pour la vitrification de l’argile à grès et son salage [1] en fin de cuisson est concrétisée avec l’aide de Paul Lucas et de la société URG Butagaz. [2]
Tout comme les briques, les carreaux étaient modelés par filage et découpe sur les mêmes machines. Il suffisait de modifier la sortie pour obtenir un prisme adapté au profil du carreau plutôt qu’à celui de la brique. La forme en deux dimensions, étirée à l’infini, était découpée pour définir la troisième dimension, permettant ainsi d’obtenir des dalles de longueur variable, qu’elles soient carrées ou rectangulaires.
Les « Grès d’Armor » ont ainsi rencontré un grand succès dans les années 1970.
Paul Lucas avait également proposé une fabrication plus restreinte de carreaux de grès émaillés et décorés, à partir des carreaux façonnés par la briqueterie. Des essais de décors ont été réalisés par Jos Le Corre, Paul Yvain et André L’Helguen. Malheureusement, ces propositions n’ont pas eu de suite.

Jos Le Corre, carreau
Prototype de carreau en grès émaillé,
Grès d’Armor et manufacture Keraluc
24cm, fin des années 1960.
Crozon Antiquites

Les dalles de Menez-Bily étaient fabriquées en double pour faciliter le séchage et la cuisson. Elles étaient ensuite séparées d’un coup de burin pour le conditionnement et l’expédition. Cela entraînait un pourcentage de rebut élevé et des difficultés de pose pour les carreleurs en raison de leur dos très irrégulier. Ces dalles de sol, lourdes et inégales, nécessitaient une pose traditionnelle sur un lit de mortier épais avec un jointoiement conséquent. Confrontés à des établissements plus modernes qui offraient des revêtements de sol plus fins et de plus grandes dimensions, les « Grès d’Armor » ont mis fin à leur activité vers la fin des années 1980.

Paul YVAIN
Projets de décors sur carreaux,
grès d’Armor et manufacture Keraluc
74cm x 24cm, fin des années 1960.
Jos Le Corre jos Le Corre Jos Le Corre Paul Yvain André L'Helguen

[1Glaçure formée à la surface du récipient par le sel (chlorure de sodium) introduit dans le four lors de la cuisson du grès. En raison de la chaleur du four, le chlore contenu dans le sel (NaCl) est dissocié. Il se combine alors avec l’hydrogène de l’air pour former de l’acide sulfureux HCl et est évacué par la cheminée du four. Le sodium, d’autre part, se combine avec les silicates de l’argile incandescente et forme sur la surface des récipients un revêtement vitreux, chimiquement très stable et résistant aux acides.

[2Créée en 1931 par 2 ingénieurs visionnaires, Butagaz s’appelle d’abord la société URG (Utilisation Rationnelle du Gaz). C’est le début de la bouteille de gaz de 13 kg et de couleur bleue qui vient concurrencer le bois et le charbon. Un élan brisé par la seconde guerre mondiale et la destruction quasi complète du parc industriel en 1945. Les années 50 signent le renouveau d’URG grâce à un parc industriel reconstruit. C’est la généralisation de la bouteille de gaz et des citernes pour les entreprises. Le laboratoire d’URG Butagaz apportait aussi une aide technique précieuse pour la mise au point des brûleurs dans les fours de céramique.