Mon idée était avant tout de saisir cette opportunité pour rendre un nouvel hommage à Victor Lucas qui fut un acteur incontournable de la modernisation et du renouvellement artistique des productions des faïenceries quimpéroises.
Il est ainsi présent par ses propres traits, esquissés sur l’œuvre céramique de son ami juriste et artiste, et quatre pièces Henriot éditées ou signées Victor Lucas et une vingtaine de créations des artistes de Keraluc l’accompagnent.

La plaque en terre vernissée carrée, de 25 cm de côté et 15 mm d’épaisseur aux bords réguliers, est assez bombée par un suivi de séchage insuffisant. Son revers présente un quadrillage grossier gravé de sept traits verticaux et horizontaux au moyen d’une mirette, comme si elle devait être ultérieurement scellée sur un support mural. Le dessin d’oxydes colorants est tracé rapidement au pinceau fin et rehaussé d’aplats comme un croquis aquarellé. Le fond est légèrement tamponné à l’éponge garnie de colorant. En haut à gauche, l’inscription noire « LU CAS » en lettre capitale sur deux lignes, se cale sur le profil du personnage et dans le coin inférieur gauche, présente un signe un peu cabalistique.
Ce portrait de profil de mon grand-père, ingénieur-céramiste-artiste, est traité comme une caricature bienveillante et peut-être plutôt comme le portrait-robot d’enquête judiciaire représentant d’une manière la plus approchante possible les traits caractéristiques du visage d’une personne recherchée. De par son auteur, un magistrat ouvert sur le monde des arts, c’est une hypothèse plausible et amusante.
Victor est coiffé de son éternel couvre-chef bleu foncé, un béret béarnais dit « béret basque » ; un modèle traditionnel et non un modèle fantaisie ou militaire. Cet accessoire était devenu un élément de base du style de certains artistes comme Rodin, Monet, Cézanne, Marie Laurencin, Picasso et bien d’autres. L’ancien combattant du chemin des dames et ancien prisonnier ne le portait pas comme un symbole militaire ni par envie d’imiter les grands maîtres de la Renaissance comme Rembrandt, mais probablement pour le simple fait qu’il devait se tenir chaud la tête en l’absence d’une chevelure généreuse.
Cette céramique, non signée ni datée, a été élaborée par Pierre Cavellat, soit dans les années 1930-1934 quand il était juge au tribunal de Quimper, soit plus probablement entre 1936, année où il est nommé président du tribunal de Châteaulin, et avant fin mars 1941, date du départ d’Henriot de Victor Lucas pour HB.
Paradoxalement cette pièce céramique n’est pas issue de la faïencerie Keraluc, comme tout naturellement la plupart des autres de ma collection, mais des ateliers de la manufacture Henriot à l’époque de sa modernisation mise en œuvre par mon grand-père. Il ne s’agit pas d’une création spectaculaire traitée comme un tour de force et empreinte de « style breton » affirmé, typique de la production de l’époque. C’est une trace très personnelle témoignant de l’amitié entre deux fortes personnalités, entretenue par leur intérêt réciproque pour une création céramique artistique sans entrave.
Petit, pour moi ce portrait remplaçait mon grand-père disparu trop tôt quand j’avais l’âge de raison. Maintenant c’est dans ma vitrine qu’il me tient compagnie et me fait regretter de n’avoir pas pu échanger sur la céramique avec lui.

Antoine Lucas, céramiste